samedi 7 novembre 2009

Sarkozy se confie à six journalistes : chut, c'est « off »



Dans la nuit de mercredi à jeudi, plusieurs médias ont subitement relayé les propos de « collaborateurs » ou de « l'entourage » de Nicolas Sarkozy, ou encore d'un certain « on » (travaillant à l'Elysée), voire même du palais présidentiel en personne - « l'Elysée dit que… »
Ces mystérieuses sources livraient à ces médias des « confidences » du président de la République sur les difficultés de la mi-mandat, le grand emprunt, l'insolence de Rama Yade ou la nomination avortée de Jean Sarkozy à l'Epad.
Jeudi matin, patatras : les radios révèlent que « on », « l'entourage » et « l'Elysée » sont en fait Nicolas Sarkozy lui-même, qui s'est exprimé la veille devant quelques journalistes. Mais les propos d'un Président et ceux que lui prêtent ses proches n'ont pas la même valeur, surtout quand il s'agit de reconnaître une erreur ou de tancer une ministre…
Pourquoi avoir ainsi « maquillé »
la source des propos ? Parce qu'ils étaient tenus« off the record » (« hors micro », c'est-à-dire non attribuables à celui qui les a dits). Mais le off a fini par être « brisé ». Retour sur une cacophonie très parlante sur les méthodes de communication de l'Elysée, et sur les pratiques journalistiques.

Dès le début de l'entretien, Sarkozy dit aux journalistes : « C'est off »

Mercredi entre 16h30 et 18h10, Nicolas Sarkozy a reçu six journalistes dans le salon vert du Château : les chefs des services politiques ou directeurs adjoints des rédactions du Monde, du Figaro, de Libération, du Parisien, du Journal du Dimanche et de l'AFP. La présidence de la République les avait conviés la veille à cette rencontre.
Dès le début, le Président le dit aux deux femmes et aux quatre hommes qui lui font face : « C'est off ». Pendant tout l'entretien, c'est surtout Sarkozy qui répond aux journalistes. Présents, le secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant et le directeur de la communication Franck Louvrier s'expriment peu.
A partir de 23h48, l'AFP publie plusieurs dépêches reprenant les différents propos. Voici le début d'une d'elles, datée de 0h32 :
« Le président Nicolas Sarkozy juge que Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Sports, a une “difficulté à s'insérer dans une équipe, quelle qu'elle soit”, a-t-on appris mercredi auprès de l'Elysée. »

« A des proches », « en petit comité », « apprend-on à l'Elysée »…

Dans Libération jeudi matin, une analyse sur le « syndrome de la mi-mandat » multiplie les « reconnaît-on à l'Elysée », « explique l'entourage du chef de l'Etat », « admet ce conseiller », « répond-on au Château »… Dans Le Figaro, le Président reconnaît « une erreur » sur l'Epad, mais « en petit comité ». Le même « petit comité » se retrouve dans le JDD, ses membres étant gratifiés du terme de « proches » de Nicolas Sarkozy !
Le Parisien affuble aussi Nicolas Sarkozy de ces masques rhétoriques, après avoir annoncé que le Président a dressé « son bilan en petit comité à l'Elysée ». L'article du Monde publié sur Internet jeudi matin, qui évoquait des confidences « en privé » et rapportait un « grondement » de l'Elysée, n'est finalement pas paru dans le papier ; son remplaçant, écrit après la destruction du « off » par les radios, est le seul parmi les compte-rendus à expliquer que l'entretien a eu lieu devant « quelques journalistes ».

« Du “off” devant six journalistes, ce n'est pas du “off” ! »

Joints par Rue89, deux des journalistes présents à l'Elysée expliquent leur choix. « Je suis plutôt pour qu'on dise les choses clairement », dit Henri Vernet, le chef du service politique du Parisien, justifiant son choix d'avoir attribué directement certaines citations à Nicolas Sarkozy :
« On ne peut pas comprendre la portée des propos si on ne dit pas clairement qui parle et d'où ça vient. »

Pour lui, « il faut être clair, du “off” devant six journalistes dont un de l'AFP, ce n'est pas vraiment du “off” ! » Paul Quinio, directeur adjoint de la rédaction de Libération, a masqué la source des propos « parce que c'était le deal ». Mais il le reconnaît :
« L'impact n'est pas le même selon que les propos sont attribués ou pas, c'est sûr. Mais cela ne m'a pas empêché d'écrire que Sarkozy est dans la mouise. »

Un éditorialiste : « C'est du “off” purement tactique »

L'éditorialiste politique de France Inter, une des radios qui ont révélé les conditions des confidences sarkoziennes, est très critique avec la pratique du « off » de la part des politiques. Thomas Legrand :
« Je comprends le “off” pour des éléments de contexte sur des sujets très techniques, ou sur des informations éminemment confidentielles car elles pourraient provoquer la panique dans la population, par exemple. Mais alors pour aller dire “je ne suis pas content de telle ministre”, c'est ridicule. C'est du “off” purement tactique. Nicolas Sarkozy devrait faire des conférences de presse. »

Chargée de suivre l'Elysée pour La Croix (un des trois quotidiens nationaux « oubliés » par l'Elysée avec France Soir et L'Humanité), Solenn de Royer estime que « les “off” de Sarkozy ne sont jamais de vrais “off”, car les gens sont beaucoup trop nombreux ». Mais cette pratique reste nécessaire, selon elle, car « si tout était “on”, les politiques seraient perpétuellement dans la langue de bois, comme à la télévision ».
Tous les journalistes interrogés sont d'accord sur un point : si Nicolas Sarkozy respectait son engagement d'organiser des conférences de presse, la communication présidentielle serait beaucoup plus claire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire