dimanche 4 octobre 2009

Wall Street innove sur la mort, et se rit du G20



Le deuxième opus du G20 qui se tenait à Pittsburgh nous promettait monts et merveilles en matière de décisions contraignantes à l’endroit du monde de la finance, et ce serait à celui qui ferait les plus fameuses déclarations d’intentions pour s’attirer les bons sentiments des peuples en manque de justice sociale. En l’espèce, Nicolas Sarkozy ne fut pas en reste, tenant toutes les promesses de l’excellent bonimenteur qu’il demeure. Mais voilà qu’une information en provenance du très sérieux New York Times faisait état des nouvelles innovations qui apparaissent sur le segment très couru des produits financiers hautement sophistiqués, les biens nommés « bonds de la mort ». On touche ici au comble du cynisme et de l’abject puisqu’il s’agit de spéculer et de titriser sur les contrats d’assurance vie des particuliers les plus fragilisés par une économie toujours convalescente.

La crise avait eu au moins le mérite de mettre au jour les pratiques ô combien malsaines des meilleurs spéculateurs sévissant sur l’ensemble des grandes places financières de la planète, notamment en révélant au grand public les aspects jusque là occultes de la finance modélisée au moyen de la science mathématique. Alors que seuls les initiés se délectaient en manipulant (titrisation) à volonté des créances douteuses afin de les rendre absolument opaques. Dès lors, la bulle immobilière ainsi créée aux États-Unis a fini par céder, entraînant le monde dans le tourbillon vertigineux d’une crise qui a bien failli mettre à bas le modèle économique dominant. Chacun le sait, si les États les plus riches n’avaient étayé l’édifice global en empruntant à tout va, le risque d’effondrement systémique aurait eu raison de notre veille machine à fabriquer de la richesse - tout du moins pour un certain nombre d’êtres humains seulement.

Alors qu’une année vient de s’écouler, nombreux sont les décideurs à se gargariser de leur action salvatrice, Nicolas Sarkozy n’hésitant pas décerner le titre de champion du monde au plan de sauvetage français, soulignant ainsi son propre talent, tout en aboyant avec velléité après ce satané capitalisme financier en pleine dérive. Gesticulant plus que les autres, et plus que de raison, notre preux président de persifler haut et fort en constatant la mort des paradis fiscaux et autres fraudes fiscales massives, psalmodiant sur le thème de l’avènement d’un capitalisme nouveau débarrassé de ses scories les plus infâmes. Dès lors, nous sommes en droit de nous questionner sur la compétence réelle de nos décideurs réunis désormais au sein de ce nouveau barnum improbable nommé G20 [1]. Ils sont tellement accaparés par cette nouvelle mission quasiment messianique, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de sauver le monde des affres de la toute puissante sphère financière, cette hydre perverse aux multiples têtes horriblement titrisées, qu’ils en oublient de regarder au plus près ce qui continue à se tramer derrière les logiciels financiers abscons. Silence, on continue à titriser pour spéculer en toute tranquillité, non plus sur l’endettement immobilier des moins nantis, mais sur leur mort ! Fini les diaboliques subprimes, mais place au nouveau produit d’avenir, fruit des fertiles cerveaux à cupidité qui peuplent Wall Street, les biens baptisés « bonds de la mort ». Pour faire simple [2], il s’agit de racheter aux ménages américains en grande difficulté financière leurs contrats d’assurance vie à un prix bien en deçà de leur valeur escompté (la moitié), afin de les renégocier sur le marché une fois le titulaire initial décédé, et ainsi d’en tirer un substantiel bénéfice. En quelque sorte, une culbute financière sur la mortalité plus précoce des socio-économiquement les moins bien portants de la population nord américaine.

Remarquable, non ? À n’en pas douter, le monde de la finance est plein de ressources inestimables et son imagination n’a d’égale que sa soif de profits. Moribond il y a peu, voilà qu’il ressuscite tel le phénix antique, alors même qu’on tente de nous faire croire que plus rien ne sera comme avant, nouvelle régulation vertueuse oblige, où probité rime avec transparence, et vi(ce) et versa. Vous comprendrez ainsi les doutes qui peuvent habiter certains quant aux résultats réels promis par les incantations internationales qui ne cessent de prêcher en faveur d’une indispensable moralisation du monde de la finance. En effet, il suffit de regarder l’évolution des cours boursiers sur l’ensemble des places financières d’importance pour constater [3] combien la réalité est tout autre, démontrant encore une fois la suprématie absolue du pouvoir financier sur le pouvoir politique et démocratique [4], cela même alors que certains indicateurs économiques des plus sensibles soulignent avec force la précarité de la reprise (chômage, dettes publiques, pauvreté...). Joseph Stiglitz [5] et les autres [6] ont bien raison d’émettre les plus vives réserves quant à la fin envisagée de la crise, invitant à la plus grande prudence aussi bien les dirigeants que les différents acteurs du marché. Les plus lucides mesurent bien combien la mécanique perverse de la spéculation est relancée alors que les plus précaires sont mis au ban d’un monde concurrentiel extrême qui ne fait aucune pitié. Alors que le compteur de la dette mondiale engrange les milliards à folle allure [7], le Roi marché continue à régner quasiment sans partage pendant que le ventre toujours vide de l’Afrique gronde, continent dont la démographie galopante tape de plus en plus fort à la vitrine fragile d’un occident finissant. Faut-il être bien aveugle pour ne pas mesurer que le glas de l’ordre ancien sonne déjà, alors qu’un nouveau modèle se dessine subrepticement, mais inévitablement, et finira par balayer d’un revers de médaille cette Babylone que la Terre ne saura, quoi qu’il advienne, tolérer plus avant.

Source : www.rue89.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire